Kimchi (2019-2022)

Un après-midi il n’y a pas si longtemps, je me suis étendue pour faire la sieste. J’ai fait jouer de la musique, et dès les premières notes, elle s’est levée de sa place habituelle au pied de mon lit et s’est avancée vers moi. Je croyais qu’elle se dirigeait vers son bock d’eau sur la table de chevet, où elle allait boire chaque jour, avant… Ça faisait déjà quelques jours qu’elle ne buvait plus autrement que lorsque j’ajoutais un peu d’eau à sa nourriture. Mais ce n’est pas au bock qu’elle est allée. Elle est plutôt venue se coucher derrière ma tête, sur l’oreiller. Elle a alors posé doucement sa tête sur mon front, en ronronnant. Nous sommes restées ainsi tête contre tête de longues minutes. Il y avait, comme depuis le début, beaucoup d’amour entre nous. Sauf que cette fois, elle ne venait pas me faire une de ses « crises d’amour », comme je les appelais, ces moments où elle me donnait de fougueux coups de tête en ronronnant, se tortillant et se jetant quelques secondes sur le côté pour que je la flatte, avant de recommencer, pendant plusieurs minutes… Non, cette fois, et depuis quelque temps, la fougue avait laissé place à une infinie douceur. La nuit qui a suivi, j’ai eu la surprise, en me réveillant, de la trouver couchée en boule dans le creux formé par mes jambes mon ventre. Elle n’avait jamais fait ça. Dans mon demi-sommeil, attendrie, je l’ai caressée et me suis rendormie au son apaisant de ses ronrons.

Elle avait toujours été affectueuse, mais jamais de cette façon, avec des gestes empreints d’une telle tendresse, et avec une telle recherche de proximité, de présence…

Ce jour-là, j’ai senti, sans trop vouloir y accorder d’importance, qu’elle était venue me dire quelque chose, qu’elle était peut-être venue me dire cette chose que je ne voulais pas qu’elle me dise. Au fond de moi, je savais… Ou une partie de moi savait, et l’autre refusait de perdre foi en sa guérison. Je m’étais promis de tout faire pour qu’elle guérisse et d’y croire jusqu’au bout. Mais je lui avais promis à elle de lui donner les meilleurs soins possibles et de faire tout ce que je pouvais pour lui rendre la vie confortable et lui offrir un environnement rassurant. Je lui avais surtout promis d’écouter ce qu’elle me dirait, et d’accepter son chemin de vie, quel qu’il soit… Jusque-là, ses yeux m’avaient toujours dit qu’elle voulait vivre (même aux pires heures de janvier, avant que tombe le diagnostic). Mais dans les jours qui ont suivi ses accès de tendresse, son état s’est dégradé et ses yeux ont fini, dans les derniers temps, par s’éteindre. Elle ne voyait plus. Ne répondait plus à mon regard qui cherchait le sien. Elle était désorientée. Et moi aussi je l’étais, de la voir ainsi.

Mais elle savait encore me trouver. Le dernier matin, elle était debout sur moi quand je me suis réveillée. Comme si elle était venue encore me dire quelque chose. Je l’ai caressée, lui ai parlé… Quelques secondes plus tard, son système nerveux se mettait à s’affoler. Comme une violente tempête dans son corps tout menu. J’ai compris que c’était le temps… Qu’elle était arrivée au bout de son chemin dans cette vie.

Vers 22h45, vendredi, chez elle et entourée d’amour, Kimchi a quitté ce monde. Ma petite Kimchi chérie, ma petite puce à la si grande âme…

Qu’elle puisse partir si jeune ne m’était jamais venu à l’esprit, avant sa maladie. C’est qu’il m’avait toujours semblé qu’elle touchait, du bout de ses petites pattes agiles et gracieuses, l’essence de la vie. Instinctive, chasseuse, décidée, fière et entière, elle était aussi aimante et loyale. Depuis longtemps, je l’appelais « ma petite fidèle ». Je nous imaginais vivre longtemps ensemble. Je savais que tant qu’elle serait là, jamais elle ne m’abandonnerait. Comme si elle avait été investie de la mission de veiller sur moi. Et moi de veiller sur elle. Nous nous le sommes bien rendu pendant le temps que nous avons passé ensemble. J’aime croire que son âme continuera de veiller sur la mienne et que nous nous retrouverons un jour quelque part.

Je manque de mots pour dire tout ce qu’elle représentait et représente encore pour moi. Tout ce qu’elle m’a apporté, tout ce qu’elle m’a appris. Malgré sa fragilité des derniers mois, cette petite bête portait en elle une force qui transcendait le réel. Nous étions déjà très proches, mais sa maladie aura nourri le lien qui nous unissait et en aura révélé toute la dimension spirituelle. J’ai mis tout mon cœur et toute mon âme à prendre soin d’elle, naviguant entre foi, espoir et inquiétudes, sur un chemin parsemé d’écueils, mais aussi d’une infinité de moments de grâce et de petits bonheurs, comme elle m’en avait toujours apporté depuis le premier jour où elle est entrée dans ma vie… avec Stratus.

Mon beau Stratus a perdu sa grande sœur d’adoption, sa compagne de jeu et de balades nocturnes. Ça me brise le cœur. Mais sans doute était-il préparé… Il avait bien compris que Kimchi était malade et qu’elle ne pouvait plus le suivre dans ses excursions à l’extérieur, ni prendre part à leurs petites chamailleries, même si, pendant quelques jours miraculeux, elle avait retrouvé assez de sa vitalité pour jouer avec lui. À défaut de pouvoir s’amuser ensemble, il y avait encore parfois entre eux de ces moments d’affection féline profondément émouvants. 

Kimchi est partie… Elle me manque tant, cette petite vie vibrante… Elle m’habitera pour toujours. Quand je pense à elle, il y a en moi ce grand frémissement intérieur, qui me rappelle le frémissement de son corps lorsque je la caressais.  

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